Lie In My Heart

Sébastien Genvo revient sur une expérience poignante dans un jeu réservé à un public averti.

Sébastien Genvo est responsable du projet Expressive Game Lab de l’Université de Lorraine, le premier centre de recherche sur les jeux vidéo à avoir vu le jour en France.

En particulier Sébastien s’est spécialisé sur ce qu’il désigne comme le “jeu expressif”. Il le définit comme un jeu vous proposant de vous mettre à la place d’autrui pour explorer ses problèmes psychologiques, sociaux, culturels et faire l’expérience des dilemmes moraux et/ou éthiques qui en résultent, avec leurs conséquences.

Et clairement Lie In My Heart, son dernier jeu, édité par Cogaming Rising, se conforme à cette définition.

En effet dans ce jeu, Sébastien revient sur le suicide de son ex-femme et ses conséquences. Lie In My Heart vous met face à différents choix qu’aurait pu faire Sébastien. Certains sont réellement inspirés de ses propres actions d’autres non. Le jeu vous demandera de faire ces choix et vous indiquera si vous avez emprunté les mêmes chemins que Sébastien. Quelques soient les choix que vous ferez ils auront des répercussions sur le héros (Sébastien) et ses proches.

En pratique la mécanique du jeu se résume à un visual novel principalement composé de choix d’actions ou de dialogues. L’expérience dure environ 1h30 mais il est recommandé de l’effectuer en une session. J’apprécie que le développeur donne cette information en amont, permettant de mieux gérer notre plus importante ressource: le temps. Evidemment avant de commencer il faudra être préparé émotionnellement à un contenu très dur.

Arrivé devant le domicile fermé de son ex-femme, Sébastien ne pourra empêcher à ce que celle-ci se donne la mort de façon violente ce qui amènera la police à l’interroger et la presse à faire un article ambigu.

Rapidement vous devrez choisir comment réagir avec la police, le correspondant du journal local, les voisins. Après cette première séquence vous aurez un résultat indiquant si vous êtes éloignés ou non du chemin de Sébastien. Je constate que le mien (confortablement assis derrière mon écran) s’est fortement éloigné du sien avec seulement 1 choix sur 6 identiques.

Puis Sébastien fait le bilan sur cette vie de couple à Louvigny, son village d’enfance situé en Moselle, sur la neuroatypie de son ancienne compagne.

Sébastien ne nous épargne rien. Ni les questions désespérément pragmatiques telles que le sort des objets restés dans la chambre du drame, ni la façon de nettoyer celle-ci, … toutes ces choses auxquelles on ne veut jamais penser.

Je dois dire qu’en tant que parent devoir choisir la forme de l’annonce de la mort de sa mère à son jeune fils fut un moment très dur.

Sébastien ne nous épargne pas non plus ses erreurs, ni son sentiment de culpabilité en particulier sur leur séparation. Il est aussi conscient de sa subjectivité et le souligne dans le jeu.

Sébastien a conçu lui-même les graphismes, mélange de dessins et de photos (qui contribuent encore à rattacher le jeu au réel) et même en partie la musique (il est guitariste). Celui-ci a aussi glissé quelques références musicales dans le jeu à la scène rock indé fin 90 début 2000: Smashing Pumpkins, Porcupine Tree, Tool, Dream Theater ou NiN.

Est-ce que ce jeu reflète cette façon que nous avons tous de rationaliser nos mauvaises interactions sociales de la journée, le soir en réécrivant le scénario de la journée (si j’avais dit ceci ou si je l’avais rembarré comme ça) ? Une forme de résilience ? Probablement.

Il est facile de considérer que Sébastien a fait tel ou tel mauvais choix, mais réfléchir derrière son écran au chaud sur sa chaise n’est pas comparable à effectuer ces mêmes décisions dans la vie réelle au moment d’annonce traumatisantes. C’est d’ailleurs là la limite de l’exercice.

Une expérience qui rappelle que le jeu vidéo peut être un peu plus qu’un produit formaté dans un univers de fiction.

A noter qu’un préquel du jeu est disponible gratuitement: Keys of a gamespace